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Bien sûr, le sens profond de la parabole se dévoile à celui qui s'humilie, c'est-à-dire à celui qui a la vertu dont saint Jean Climaque dit qu'elle "est une grâce sans nom que ne connaît que celui qui la possède". Que faire si nous sommes dans la situation où l'humilité n'est même pas accessible de loin et où elle apparaît plutôt comme une cible que nous espérons à peine atteindre? Pourrions-nous tirer parti des autres paroles du Sauveur, en particulier en comprenant le premier verbe cité? (Le contenu de cette homélie est un timide essai de réponse). Comme verbe de mouvement, "s'élever" suppose un déplacement dans l'espace par rapport à un repère. Nous disons que les oiseaux " s'élèvent " en prenant leur vol, ou que le soleil "se lève" dans le ciel, entendant par là un déplacement par rapport à notre système de référence : la terre. Il est clair que l'"élévation", comme d'ailleurs le mouvement en général, est rapportée à un repère considéré comme fixe. Dans cette perspective, ce qui est de première importance dans l'utilisation et dans la compréhension d'un tel verbe est la précision du repère ou bien du " système de référence". Ainsi, les oiseaux vus d'avion ne semblent pas du tout s'élever ; et le soleil, autour duquel la terre tourne, nous le savons bien, en aucun cas ne "s'élève" dans le ciel : ou bien seulement dans la mesure où nos sens perçoivent une ligne de stabilité, l'horizon que nous offre notre planète. Peut-être qu'il serait bien de préciser qu'une des conclusions physiques concernant ce monde est que tous les objets qui existent en lui bougent les uns par rapport aux autres : la pierre la plus solide et " stable " qui se trouve à notre portée est en réalité en mouvement dans l'espace en même temps que toute la terre ; le soleil ne nous offre pas davantage de garanties de stabilité et, en bref, toutes les étoiles et toutes les planètes semblent répéter l'aphorisme connu : " Tout est relatif ! " L'importance, comme d'ailleurs l'inexistence, d'un point d'appui immobile dans ce monde a été observée par l'inventeur de la loi de la gravité, quand il s'écrie : " Donnez-moi un point immobile et je soulèverai la terre !" Ces données étant précisées, nous pouvons revenir à la conclusion du Christ Seigneur, et à l'antithèse entre le pharisien correct, juste et ascète, et le publicain pécheur, qui ne respecte pas la règle et l'abstinence. Quels sont leurs repères ? Le repère du pharisien est facile à trouver : c'est le publicain à côté de lui, car lui même le dit clairement quand il remercie de ne pas être " comme ce publicain". Quant au publicain, "se tenant en retrait, il ne voulait même pas lever les yeux vers le ciel, mais il se frappait la poitrine et disait : Ô Dieu, fais miséricorde au pécheur que je suis !". Quel est le point de repère de ce dernier ? D'après ce qu'il dit, il ne peut y en avoir qu'un : Dieu, le seul qu'il nomme, devant lequel il se tient en se frappant la poitrine. Nous aurions peut-être dû nous demander s'il n'y a pas une erreur dans les rapports et les systèmes de référence, le pharisien se condamnant lui-même par sa propre prière. En effet, de son point de vue, rien de ce qu'il dit n'est erroné : il remercie Dieu, reconnaissant que ce qu'il a vient de Dieu, non de son propre pouvoir. De plus, il ne ment pas quand il dit qu'il n'est pas voleur, injuste ou adultère. Au contraire, il offre la dîme et il jeûne. Est-ce que le publicain fait cela ? Pas du tout. Qu'aurait pu penser notre pharisien si son "système de référence" n'avait pas été "les autres hommes" ou la personne du publicain, mais Dieu, c'est-à-dire celui auquel se réfère le publicain ? Aurait-il pu encore dire, devant celui qui est seul bon, qu'il était en règle ? Ou devant celui qui est juste qu'il était lui-même juste ? Ou devant celui qui est impassible qu'il pratiquait l'abstinence ? Et qu'aurait-il pu dire, se félicitant de donner la dîme, en face de celui "qui fait lever le soleil sur les bons et sur les méchants et qui envoie la pluie sur les justes et sur les pécheurs ?". N'aurait-il pas plutôt fait comme le publicain ; ne se serait-il pas tenu lui aussi en retrait, considérant sa justice comme un linge au rebut, et toute sa vertu comme péché ? Si, du point de vue du pharisien, le publicain était un pécheur, alors qu'aurait pu être le pharisien devant la face de Dieu ? Eh bien, en suivant l'exemple du publicain, dans un rapport correct avec Dieu, n'importe qui peut faire ce qu'il a fait et dire, se frappant la poitrine : "Ô Dieu, fais miséricorde au pécheur que je suis !". Dans cette perspective, on ne peut trouver surprenante la parole du saint apôtre Paul qui dit : "Jésus-Christ est venu sauver les pécheurs dont je suis le premier". Saint Paul aurait-il pu dire cela s'il s'était comparé aux "autres hommes" ou "à ce publicain" ? En conclusion, soyons convaincus que lorsque nous prions Dieu, il convient de nous référer à Dieu et non aux hommes et de vérifier cette parole d'un de nos saints Pères : " Garde toujours la parole du publicain dans ton coeur et tu seras sauvé !" |
Article apparu dans le feuillet "St. Jean Cassien", nr. 99 / 14 fevrier 2003 |