25 MARS
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Iconostase Cath. de la Dormition Monastère St. Cyril du Lac Blanc XVI° s. |
L'évangile (Lc 1, 24-38) relate la révélation que Gabriel, à Nazareth, fit à Marie. La réaction de Marie, "comment cela se fera-t-il ? ", n'est pas l'expression d'un doute, et en cela elle diffère de la réaction de Zacharie, lorsque la naissance de Jean lui fut prédite. Marie pose simplement une question respectueuse ; et, quand l'ange explique que le Saint-Esprit descendra sur elle et la couvrira de son ombre, Marie répond, avec l'humilité et l'obéissance qui caractérisent toute sa personne : "Je suis la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon ta parole".
La fête de l'Annonciation a en quelque sorte deux faces. L'une d'elles est tournée vers la Très Sainte Mère de Dieu. Elle concerne sa gloire et notre piété envers Marie. La déclaration de cette gloire et l'expression de cette piété trouvent leur forme parfaite dans la première phrase du message de l'ange : "Salut, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi". Nous ne pouvons mieux nous adresser à la Sainte Vierge qu'en répétant cette phrase avec vénération et tendresse. L'autre face du mystère de l'Annonciation est tournée vers les hommes. Dans la vie de tout chrétien, il doit y avoir des Annonciations divines, des moments où Dieu nous fait connaître sa volonté et son dessein à notre égard. Mais toutes ces Annonciations doivent s'unir et se fondre dans une Annonciation essentielle : l'Annonce que Jésus peut naître en nous, peut naître de nous - non point dans le sens où il fut conçu et mis au monde par la Vierge Marie, car il s'agit là d'un miracle unique et inégalable, mais dans le sens d'une prise de possession toute spirituelle et en même temps très réelle de notre personne par le Sauveur. Et puis rappelons-nous que toute Annonciation authentique est aussitôt suivie d'une Visitation : la faveur divine étendue sur nous doit immédiatement provoquer de notre part une démarche, une parole ou un acte de charité envers nos frères. Voilà pourquoi l'évangile des matines de l'Annonciation est le récit de la visite faite par Marie à élisabeth. La Mère de Dieu, aussitôt après son entretien avec Gabriel, va porter la grâce à sa cousine et faire rayonner cette grâce sur élisabeth et Jean.
La date de la fête de l'Annonciation montre clairement sa dépendance à celle de la nativité du Seigneur : 25 mars / 25 décembre ; elle ne peut donc avoir été célébrée à cette date avant la fixation de la date de Noël.
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A. Roublev Cathédrale de la Dormition Vladimir |
L'incertitude1 sur la date de la naissance selon la chair de Notre Seigneur Jésus entraina dans les premiers siècles une diversité de dates pour la célébration de l'incarnation du Christ : vers le 20 mai en Egypte aux dires de Clémént d'Alexandrie, peut-être après Pâques en Palestine.... Ce n'est que vers le début du IV siècle que les dates du 25 décembre à Rome et en Occident et du 6 janvier en Orient s'imposèrent comme célébrations des manifestations du Christ incarné.
A la fin du IV siècle l'Orient reçu la date du 25 décembre pour la célébration des mystères liés à la Nativité, réservant celle du 6 janvier à ceux liés au baptême du Seigneur ; cependant qu'en Occident la réception de la festivité du 6 janvier comme célébration des Epiphanies aux nations (adoration des mages, baptême du Seigneur et noces de Canna) affectera, plus spécifiquement, celle du 25 décembre à la contemplation de l'incarnation du Fils.
La date de la Nativté fixée et acceptée dans les diverses Eglises, c'est probablement au cours du VI et VII° siècles qu'apparût la solemnité de l'Annonciation le 25 mars2. La première mention en est faite dans une lettre de Justinien à l'Eglise de Jérusalem (550)
Il est toutefois probable qu'avant cette date, des commémorations de la salutation de l'ange Gabriel à la vierge Marie, lui annonçant la joie de la conception divine, et du "fiat" de Marie ( ...qu'il me soit fait selon ta parole.) ont existé. Dans la liturgie syriaque le deuxième dimanche de la préparation à Noël est consacré à l'Annonciation, la liturgie des Coptes d'Egypte honore également la Mère de Dieu par des hymnes durant cette période3.
Dans les églises d'Espagne et probablement des Gaules, marquées d'influences des liturgies d'Orient le second dimanche de l'Avent célébre la rencontre de l'archange et de la Vierge. Enfin il faut signaler qu'en Espagne au X° concile de Tolède (656), les évêques maintiennent face à la fête du 25 mars, une célébration de l'Annonciation le 18 décembre.
1 - La découverte récente (1995), dans les grottes de Qumran, d'un calendrier liturgique pour le service du Temple de Jérusalem, permettant de dater le tour de rôle de St. Zacharie le père du précurseur, semble montrer que la date du 25 décembre aurait un autre fondement que la christianisation de la fête cosmique du sol invictus.
2 - La date du 25 mars étant connu d'Augustin d'Hippone, cette chronologie pourrait toutefois être contredite. Il est interessant de noter qu'au mois du calendrier hébraïque (Aviv) correspondant on célébrait la sortie (Exode) d'Egypte.
3 - Dans les Eglises syriaques et copte, ll existe une célébration de l 'Annonciation au printemps, équivalente à celle du 25 mars. Ce pourrait être une introduction plus récente, due à l'influence de Byzance, et la célébration d'avant Noël un témoin de l'usage ancien.
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A. Roublev Cathédrale de l'Annonciation Moscou |
SERMON POUR L'ANNONCIATION ST. EPHREM LE SYRIEN
Contemplez Marie, mes bien-aimés, voyez comment Gabriel entra chez elle et quelle objection elle lui adressa : Comment cela va-t-il se faire ? (Lc 1, 34). Le serviteur de l'Esprit Saint lui fit cette réponse : « Cela est facile à Dieu ; pour lui tout est simple.» Considérez comme elle crut à la parole entendue et dit : Voici la servante du Seigneur (Lc 1, 38).
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Kiev Cathédrale Sainte Sophie XII° sciècle |
Dès lors le Seigneur descendit d'une manière que lui seul connaît ; il se mit en mouvement et vint comme il lui plaisait ; il entra en elle sans qu'elle le sente, et elle l'accueillit sans éprouver aucune souffrance. Elle portait en elle, comme un enfant, celui dont le monde était rempli. Il descendit pour être le modèle qui renouvellerait l'antique image d'Adam. Aussi, lorsqu'on t'annonce la naissance de Dieu, observe le silence. Que la parole de Gabriel te soit présente à l'esprit, car il n'y a rien d'impossible à cette glorieuse Majesté qui s'est abaissée pour nous et qui est née de notre humanité.
En ce jour, Marie est devenue pour nous le ciel qui porte Dieu, car la Divinité sublime est descendue et a établi en elle sa demeure. En elle, Dieu s'est fait petit - mais sans amoindrir sa nature - pour nous faire grandir. En elle, il nous a tissé un habit avec lequel il nous sauverait. En elle se sont accomplies toutes les paroles des prophètes et des justes. D'elle s'est levée la lumière qui a chassé les ténèbres du paganisme. Nombreux sont les titres de Marie, et il convient que je les rapporte. Elle est le palais dans lequel a habité le puissant Roi des rois. Et il ne l'a pas quittée comme il était venu, car c'est d'elle qu'il a pris chair et qu'il est né.
Elle est aussi le nouveau ciel dans lequel a habité le Roi des rois. En elle s'est levé le Christ et d'elle il est sorti pour entrer dans la création, formé et façonné à son image. Elle est le cep de vigne qui a porté la grappe. Elle a donné un fruit supérieur à la nature ; et lui, bien que différent d'elle par sa nature, a revêtu sa couleur et est né d'elle. Elle est la source de laquelle ont jailli les eaux vives pour les assoiffés, et ceux qui ont goûté de sa boisson portent des fruits au centuple.
HOMÉLIE D'ABRAHAM D'EPHÈSE PRONONCÉE LE 25 MARS, ENTRE 530 ET 550 :
"Grand et célèbre est ce jour, il n'y a pas de discours capable de décrire l'amour qu'aujourd'hui Dieu a montré aux hommes.
Aujourd'hui s'est accompli le dessein établi avant les siècles pour le salut du genre humain.
Aujourd'hui le Verbe qui, comme le Père, n'a pas de commencement, s'est enfermé dans la matrice virginale et il apparaît comme un enfant.
Aujourd'hui celui qui réside dans le sein du Père inséparablement, est reçu dans le sein de la Vierge."
HOMÉLIE DE SAINT NICOLAS CABASILAS POUR L'ANNONCIATION À LA TRÈS SAINTE MÈRE DE DIEU
ET TOUJOURS VIERGE MARIE (EXTRAITS)
S'il fallut jamais que l'homme se réjouît et dansât et chantât de joie, s'il y eut un instant que l'on doive célébrer avec grandeur et éclat, s'il faut pour cela demander la hauteur de l'esprit, la beauté du discours et l'élan des paroles, je n'en connais pas d'autre que ce jour où un ange vint du ciel annoncer tout bien à la terre. Maintenant le ciel est en fête, maintenant resplendit la terre, maintenant la création tout entière se réjouit et celui-là même qui tient les cieux en sa main n'est pas absent de la fête - car ce qui a lieu aujourd'hui est bien une panégyrie, une célébration universelle. Tous s'y rassemblent en une figure unique, en une même joie, dans ce même bonheur qui survient pour tous : et pour le Créateur, et pour toutes ses créatures et pour la mère elle-même du Créateur, celle qui a fait de lui un participant de notre nature, de nos assemblées et de nos fêtes. [...]
La Vierge s'offrit d'elle-même et fut l'ouvrière de ce qui attira l'artisan vers la terre et mit en mouvement sa main créatrice. Qu'est-ce donc ? Ce furent sa vie toute-pure, le renoncement à tout péché, l'exercice de toute vertu, l'âme plus pure que la lumière, le corps en tout spirituel, plus lumineux que le soleil, plus pur que le ciel, plus saint que le trône des chérubins ; un envol de l'esprit ne craignant aucune hauteur, surpassant même les ailes des anges ; un désir de Dieu anéantissant tout emportement de l'âme ; une prise de possession par Dieu, une intimité avec Dieu excluant toute pensée créée. Ayant orné son âme et son corps de tant de beauté, elle attira le regard de Dieu et révéla la beauté de notre commune nature par sa propre beauté ; elle a ainsi attiré l'impassible, et celui que l'homme avait rebuté par le péché est devenu Homme par la Vierge.[...]
Lorsque vint le moment où parut celui qui apportait l'annonce, elle crut, fit confiance et accepta le service. Car c'est cela qui était nécessaire, et il le fallait en tout cas pour notre salut. Si en effet elle n'en avait pas été capable, la Bienheureuse n'aurait pu voir la bienveillance de Dieu pour l'homme, car il n'aurait pas désiré descendre sans qu'il y eût quelqu'un pour le recevoir, quelqu'un qui fût capable de servir l'économie du salut - et la volonté de Dieu sur nous n'aurait pas pu passer en acte si la Vierge n'avait pas cru et acquiescé. Et la preuve en est que Gabriel s'est réjoui lorsque, s'adressant à elle et l'appelant pleine de grâce, il lui expliqua tout le mystère (Lc 1,26-33). Mais Dieu ne descendit pas sans que la Vierge eût demandé à savoir de quelle manière elle enfanterait. Dès qu'il l'eut persuadée, dès qu'elle eut accepté la requête, tout l'oeuvre se réalisa aussitôt : Dieu revêtit l'homme et la Vierge devint Mère de son Créateur.
Si la Toute-Pure a observé devant Dieu tout ce qu'il faut observer, si elle s'est montrée aussi sainte comme homme sans rien omettre de ce qui se doit, comment n'eût-elle pas convenu à Dieu ? Et si rien n'a échappé à la Vierge de ce qui pouvait la désigner comme Mère de Dieu, si elle en a conçu un ardent amour pour lui, encore plus Dieu devait-il observer le juste retour et devenir son Fils. lui qui donne aux princes méchants selon leur coeur, comment n'aurait-il pas pris comme mère celle qui s'était montrée en tout selon son désir ? C'est ainsi que ce don fut approprié et convenable en tout pour la Bienheureuse. C'est pourquoi, pour lui annoncer clairement qu'elle allait enfanter Dieu, Gabriel lui dit : Il régnera pour les siècles sur la maison de Jacob et son règne n'aura pas de fin (Lc 1,33). Comme si ce qu'elle venait d'apprendre n'était ni étrange ni inhabituel, elle reçut cette annonce avec joie. Et d'une voix bienheureuse, l'âme exempte de trouble et dans le calme des pensées, elle répond : Voici la servante du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta parole ! (Lc 1,38).
Tels furent ses mots, et la réalité suivit : Et le Verbe est devenu chair, et il a fait son habitation en nous (Jn 1,14). Ayant donné sa réponse à Dieu, elle en reçut l'Esprit, artisan de cette chair consubstantielle à Dieu. Sa voix fut une voix puissante, comme le dit David (cf. Ps 67,34), et le Verbe du Père fut formé par le verbe d'une mère, le Créateur par la voix d'une créature. Et de même que Dieu dit : Que la lumière soit !, et aussitôt la lumière fut (Gn 1,3), de même la vraie lumière se leva à la voix de la Vierge, et Il s'unit à la chair et fut enfanté, Celui qui illumine tout homme venant en ce monde (Jn 1, 9).
Ô voix sainte ! Ô majesté de tes paroles puissantes ! Ô bouche bienheureuse rassemblant de l'exil l'univers entier ! Ô trésor de ce coeur qui déverse en quelques mots sur nous l'abondance de ses biens ! Ces mots ont transformé la terre en ciel et vidé l'enfer de ses prisonniers, ils ont fait du ciel l'habitation des hommes, des anges leurs compagnons, ils ont fondu en un seul choeur la race des cieux et celle de la terre.
Quelle action de grâce t'adresserons-nous pour ces paroles ? Oh, que peut-on te dire, toi dont rien n'est digne parmi les hommes ? Nos paroles viennent de ce qui est, mais toi tu excèdes tout ce qui surpasse le monde. S'il faut te présenter des mots, ce doit être oeuvre des anges, oeuvre de l'intellect chérubique, oeuvre de langues de feu. Aussi pour parler dignement de ta puissance, ayant commémoré par la bénédiction ce qui est de toi, t'ayant chanté comme notre salut autant qu'il nous est possible, nous voudrions encore emprunter la voix des anges, et nous terminerons notre discours en t'honorant par ces mots de la salutation de Gabriel : Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi !
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Annonciation XIV° sciècle Galerie Tretyakov Moscou |